Le Problème
J'entend souvent dire qu'il ne peut pas y avoir de guerre nucléaire car tout le monde sait qu'il n'y aurait pas de gagnant. Un attentat terroriste reste possible, détruisant un centre ville mais rien de grande ampleur qui puisse mener la civilisation à sa perte... C'est très rassurant mais est-ce vrai ?
Selon le Bulletin of Atomic Scientist, l’humanité est plus proche que jamais de l’hiver nucléaire puisque leur « doomsday clock » (horloge de la fin du monde) affiche Minuit moins Deux. Fondée par les pères de la bombe atomique, cette prestigieuse publication a lancé son indicateur en 1947 et il affichait alors « sept minutes avant minuit ». Après avoir fluctué au gré des crises politiques, elle vient donc d’être avancée à minuit moins deux, son plus haut niveau depuis sa création...
Objet de tous les fantasmes, le danger lié aux armes nucléaires demeure mal compris par le grand public et la majorité des décideurs politiques. Le risque principal ne provient pas d’actes irrationnels qu’entreprendraient des chefs d’État autoritaires, mais découle des actions rationnelles inhérentes à la stratégie militaire car tout ce sujet est avant tout une question de stratégie !
Le 6 août 1945, à 8h15 du matin, le bombardier « Enola Gay » largue « Little Boy » sur Hiroshima. La bombe atomique de 4400 kg explose à 580 mètres d’altitude, libérant une déflagration équivalente à quinze mille tonnes de TNT. L’ensemble des bâtiments situés dans un cercle de quatre kilomètres de diamètre sont rasés. Tous, sauf l’hôpital Shima, situé juste en dessous de l’épicentre.
Si les dégâts furent considérables (Près de la moitié des trois cent mille habitants aurait ainsi péri, dont 90 % au cours des premiers jours), le plus effrayant avec Hiroshima, ce ne sont pas les conséquences du feu nucléaire, mais ses causes ! Les deux principaux généraux américains, Eisenhower et MacArthur, jugeaient ces bombardements inutiles du point de vue militaire. Le gouvernement japonais attendait l’issue des négociations avec la Russie pour répondre à l’ultimatum américain. C’est l’invasion de la Mandchourie par l’armée soviétique qui poussa le Japon à capituler sans condition, et non pas les destructions d’Hiroshima et Nagasaki, comme le reconnaîtra le président Truman dans ses mémoires. Le recours aux armes nucléaires sur des centres urbains n’avait donc pas pour objectif d’écourter la guerre, mais bien d’effectuer une démonstration de force.
Hiroshima et Nagasaki ne sont d'ailleurs que la conclusion d'une stratégie adoptée par les alliés dès l'entrée en guerre des USA dans la seconde guerre mondiale, à savoir le ciblage délibéré des civils, en Allemagne comme au Japon. Les premiers bombardements sur les villes allemandes commencèrent dès mars 1942 sur la cité hanséatique de Lübeck. Le 30 mai 1942, ce sera le tour de Cologne puis par la suite, toutes les grandes villes allemandes seront la cible de raids aériens plus ou moins importants. Le paroxysme de ces actions fut atteint lors des raids aériens à la bombe incendiaire des villes de Hambourg (45 000 morts en sept jours), Dresden (cent vingt mille morts en une nuit) et Tokyo (plus de cent mille morts en vingt-quatre heures).
Le choix d’Hiroshima découle d’un processus méthodique. Une demi-douzaine de villes figuraient sur la liste des cibles potentielles, sélectionnées en fonction de leur taille, de la concentration des habitations et de la topographie, dans le but de provoquer un maximum de dégât visuel. Les villes jusqu’alors épargnées par les bombardements au napalm furent placées en tête de liste. Ce sont les conditions météorologiques du jour qui scellèrent le destin d’Hiroshima, l’armée américaine souhaitant un ciel dégagé pour pouvoir filmer les effets de la bombe.
En détruisant Hiroshima et Nagasaki, les Américains firent la démonstration de leur détermination : rien ne saurait les empêcher de raser des villes entières. Ce jour-là, les États-Unis placèrent un fusil sur la tempe de l’humanité pour dissuader leur ennemi de bouger. Soixante-dix ans plus tard, leur doigt est toujours sur la détente. On appelle ça pudiquement de la dissuasion.
Dernière modification le 22 mars 2019